Le Mausolée Qadiri lieu saint du plus célèbre chef soufi dans le monde
06/05/2005

Enquête- Walid Abdelamir Alwane

Photos- Fadel Abbas Salami

Bagdad (ou Maison de la paix) est certes une ville d’histoire et de mausolées de prophètes, d’Imams et de saints. Elle est aussi la ville des mosquées historiques avec leurs minarets et leurs dômes bleus, conférant à la ville piété et beauté. Bagdad est également le centre des mouvements religieux et de divers courants islamiques. De cette ville est issu le mouvement soufi qui a donné à la culture islamique un apport nouveau en matière de spiritualité et de connaissance. Les partisans de ce courant y ont fait appel au renoncement aux aspects matériels de la vie, à l’austérité et au perfectionnement de l’âme pour qu’elle fusionne dans l’amour de Dieu. En outre, c’est à Bagdad que furent inhumés les principaux cheikhs de ce courant, Assahrouri, Maârouf Al Korkhi et Abdelkader Al Jilani.

A l’est de Bagdad, désigné par « Rosafa Ã‚» ou « Assawb al kabir Ã‚» (car plus large que la partie ouest du Tigre, appelé « Assawb assaghir Ã‚»), dans l’un des plus anciens lieux appelé « Bab Cheikh Ã‚», se trouve le mausolée du fondateur du courant Qadiri, qui est l’un des plus célèbres et des plus étendus courants soufis dans le monde, le cheikh Abdelkader Al Jilani.

C’est un chef d’œuvre de l’architecture musulmane de l’Irak, associant admirablement l’ancienne architecture de coupoles de briques et de gypse, avec la nouvelle à base de fausses coupoles et de marbre italien.

Bref aperçu sur sa vie

C’est le cheikh Abou Saleh Abdelkader Al Hanbali Al Bachtiri Al Jilani, par référence à Jilan, une des banlieues de la ville de Richt en Iran. Descendant du Imam Hassan Ben Ali Ben Abi Taleb (PSE), il est né en 470 H à Jilan. Puis il s’installa à Bagdad et suivit les enseignement de Abou Said Al Makhrami, un homme ascète et pieu, qui dirigeait alors une célèbre école religieuse à Bab Al Azaj (Bab Cheikh actuellement). Rapidement, son intelligence et sa supériorité se manifestèrent, à tel point que les riches lui vinrent en aide. Il se consacra à l’enseignement et aux prêches. Il surpassa ses enseignants dans l’observation de la bonté, du renoncement et des principes. Il recommanda l’accueil amical de l’étranger et l’ascétisme. Ainsi, devint-il célèbre et fut-il considéré comme un vénérable cheikh et eut de nombreux adeptes. On lui prêta quelques pouvoirs surnaturels et plusieurs guides s’étaient adressés à lui. Aussi, fonda-t-il la « voie Qadirie», l’un des courants soufis les plus suivis et les plus influents. Ses adeptes appellent à l’amour, à la tolérance, à l’austérité et au refus de la violence. Ils ont leur rituel particulier pour implorer Dieu.

Le cheikh Abdelkader a pratiquement séjourné dans son école, surtout durant les dernières années de sa vie, en raison des conflits entre courants islamiques de l’époque. Il mourut en 561 H/1166 et fut inhumé, suivant sa volonté, dans le hall de son école. Il a engendré 12 enfants, dont une seule fille.

Le Mausolée Qadiri

Du fait de la renommée et de la sainteté reconnues par l’ensemble du monde musulman au Cheikh Abdelkader, et du grand nombre des visiteurs de l’Inde en particulier, son tombeau fut l’objet d’un grand intérêt dans le passé comme dans le présent. Après que son tombeau ait été mis dans une petite salle de l’école, une partie de celle-ci fut transformée en mosquée qui n’a eu de cesse de grandir. On y a bâti une merveilleuse coupole, à l’impressionnante dimension et à la splendide architecture et décoration. Elle fut considérée comme la plus grande coupole d’Irak. Elle est de couleur blanche perceptible de loin et a été construite avec le pisé et le gypse en 941 H/ 1534. Elle fut repeinte de temps en temps. En 1970, elle subit quelques opérations de restauration, dont le renouvellement de la coupole bleue, proche de la blanche, et construction d’autres coupoles ornée de kachani.

Le Mausolé Qadiri aujourd’hui

Ce mausolée est considéré comme l’un des plus vastes lieux saints en Irak, avec ses nombreuses annexes internes et externes. Il dispose d’une grande esplanade et d’un « msalla Ã‚» (lieu de prière) estival capable d’accueillir 1100 prieurs et entouré de bâtiments de deux niveaux comprenant 66 salles modernes équipées, servant de résidences pour les cheikhs. Il y a aussi d’autres salles pour le rituel du « dikr Ã‚» (récitation) soufi, qui se tient habituellement les vendredis soirs, ou à certaines occasions religieuses, telle la Fête du Mouloud (anniversaire du Prophète), ou lors de l’inhumation des cheikhs et des personnalités. Cette esplanade a une entrée souterraine menant au souk antique construit sous elle afin d’y vendre les étoffes, les chapelets, le Coran et certains ouvrages d’imploration et de « dikr Ã‚». Elle est dotée de trois minarets : la plus récente est ornée à sa base de marbre et de granite ; la deuxième dispose à son sommet d’une belle horloge, installée depuis 1898 par Abderrahman Annakib, premier ministre du premier gouvernement irakien. Cette imposante horloge, de 30 m de hauteur, a été fabriquée par les usines « bonh Ã‚» de Bombay (Inde).

Aux limites occidentale et orientale de cette esplanade, on trouve deux portails récemment restaurés, l’occidental menant à Bab Cheikh, et l’oriental à la zone du Bab de l’est qui est le plus récent.

Le pavillon et le mausolée

Avant l’entrée du mausolée, il y a un vaste hall où l’on trouve à son extrémité droite le lieu saint Hanafi, d’une superficie de 225 m² pouvant accueillir 800 prieurs. Il est composé de deux niveaux et comprend un beau mihrab orné en haut de versets coraniques, un minbar original recouvert de marbre et disposant de sept échelles et une estrade en marbre. Ce minbar a remplacé un autre ancien qui était en bois. Certains ont critiqué cela, estimant qu’il a affaibli le caractère sacré de ce minbar qui a été utilisé par de nombreux cheikhs et savants. En outre, ce lieu saint comprend des salles de repos pour les personnalités et les cheikhs, et d’autres pour des séances de « dikr Ã‚». La prière du vendredi s’y effectue d’habitude.

Ce lieu saint dispose d’une porte intérieur qui mène vers le lieu saint Chafiî, puis vers le lieu saint Malékite, d’une superficie similaire. Sa porte extérieur est en beau bois orné de belles gravures.

Les femmes ont également leur pat dans ce pavillon. En effet, il y a un lieu saint qui leur est réservé, d’une capacité de 500 personnes. Il se caractérise par le grand nombre de colonnes en marbre et par la beauté des motifs ornant les plafonds et le haut de ses murs.

Au bout d’une petite allée traversant le milieu de ce pavillon se trouve le mausolée. Il est à l’intérieur d’une petite salle où il y a une porte latérale par laquelle entrent les femmes. Il paraît que l’austérité à laquelle s’était attaché cheikh Abdelkader Jilani de son vivant l’a accompagné même après sa mort. Le mausolée dispose seulement d’un grillage en argent sous la forme d’un carré au sommet de la tombe, entouré d’une barrière en fer à sa base gauche afin d’empêcher les femmes d’en faire le tour et d’être en contact avec les hommes lors des visites. Toutefois, l’étroitesse de ce mausolée ne diminue en rien la sacralité de ce lieu et le recueillement qu’y ressentent ses nombreux visiteurs d’Irak ou de l’Inde, Pakistan et Bangladesh, notamment. Il y a un grand afflux de visiteurs à la fête du Mouloud et à l’anniversaire du cheikh Abdelkader Al Jilani qui vient un mois après (le 12 Rabiî II), ainsi qu’à la Nuit du Destin, la nuit d’Al Israa wa Al Mi’raj, la nuit du milieu de Chaâban, le 10^ème jour de Moharram et les nuits de vendredi. De l’extérieur, ce mausolée est dominé par la coupole blanche et d’autres petites coupoles décrites précédemment.

Les célébrités inhumées au mausolée Al jilani

Comme les autres lieux saints, ce mausolée accueille les dépouilles d’un certain nombre de personnalités. Parmi elles : celles de l’ensemble de la famille du cheikh Abdelkader Al Jilani, dont les plus célèbres sont ces deux fils les cheikhs Abdeljabbar et Salah (inhumés dans un coin à part fermé par une porte en fer, accessible à quelque visiteurs), Abderrahman Anakib Al Jilani, chef du premier gouvernement irakien et Rachid Aali Al Jilani, chef du célèbre mouvement militaire de 1941 qui porte son nom ; ainsi que celles de Abdelmohcine Assaâdoun, premier ministre à l’époque de la monarchie, qui s’était suicidé, et de Abdelhamid Khan.

La bibliothèque Qadiri

Avant de passer en revue les annexes externes du mausolée Al jilani, il est indispensable de passer par certains pavillons importants situés à la fin du lieu saint estival au rez-de-chaussée, dont le plus important est la bibliothèque Qadirie. Celle-ci est considérée comme l’une des plus anciennes d’Irak. Elle date du début du 6ème siècle de l’Hégire (début 12ème siècle). Elle fut créée d’abord au sein d’une école religieuse suivant le rite hanafite. Elle subit différentes opérations de restauration et d’extension, dont la dernière, en 1993, l’a transférée à son lieu actuel.

Cette bibliothèque se compose actuellement de deux niveaux. Le rez-de-chaussée, comprend deux vastes salles de lecture, l’une pour les hommes et l’autre pour les femmes, un service des manuscrits où ces derniers sont disposés dans des rayons avec des vitres en verre transparent, ainsi qu’un service de préservation des livres (dans 5 salles).

Quant au premier étage, il dispose d’une vaste salle de lecture et de services de préservation des livres.

Cette bibliothèque englobe 65 000 ouvrages environ, de diverses disciplines, notamment celles relatives au soufisme. Elle dispose aussi de 1949 manuscrits. L’ensemble de ces ouvrages ont été acquis par le biais de la famille Al Jilani, de certaines bibliothèques, des dons de l’intérieur et de l’extérieur de l’Irak, des achats dans les souks locaux ou dans les Foires. Parmi ses trésors : un exemplaire du saint Coran de grand format manuscrit datant de 1796 qui a été offert par le gouverneur du Cachemire Asserdar Abdallah Khan Addarati ; le manuscrit du célèbre ouvrage « Les termes étranges dans le Coran Ã‚» d’Ispahani, portant la note suivante : « j’ai sauvé cet ouvrage qui a été jeté par les Tatars au fleuve Tigre en 656 H, moi Abdallah Ben Abdelkader Al Mekki».

Annexes du mausolée Al jilani

De nombreuses annexes dépendent du mausolée Al Jilani. Il y a l’administration des awkafs (biens) Qadiri qui est le siège de l’administration du mausolée Al Jilani. Celle-ci est gérée par le « Metwalli Ã‚», exclusivement de la famille Al Jilani. Le hadj Abderrahman Dahr-eddine Abdallah Al jilani est l’actuel gérant, aidé par une équipe d’employés. Cette administration est située sur le boulevard qui est en face du mausolée Qadiri. Elle est composée d’une grande salle pour l’accueil des vérificateurs, d’une salle de prière et de chambres pour les emplyés.

Il est à noter que le hadj Abderrahman est titulaire d’un magistère en sciences politiques de l’université Georges Town et d’un autre magistère en relations internationales de l’université George Washington.

La cuisine de charité

C’est la plus célèbre cuisine de l’Irak. Elle préparait des repas pour

1 500 personnes. Chaque jour, 20 moutons y étaient égorgés, jusqu’aux événements qu’a connu le pays en 2003. Son activité n’a pas cessé même avec les opérations qui ont touché Bagdad par la suite. C’est une tradition que tous les responsables du mausolée Qadiri ont veillé à respecter scrupuleusement. Ainsi, malgré les difficultés présentes et la rareté des aides et des dons, cette cuisine offre encore un repas quotidien gratuit après la prière du Asr pour 400 personnes, la plupart des déshérités, mais aussi certaines personnes aisées à la recherche de bénédiction.

Cette cuisine est située au sein du bâtiment administratif. Elle est dotée de deux guichets de distribution, l’un pour les hommes et l’autre pour les femmes. Elle dispose aussi d’une étable pour l’élevage, d’un entrepôt pour les aliments secs, d’un espace pour boucherie, de réfrigérateurs et d’une salle à manger pour les employés et leurs visiteurs.

Le repas habituellement préparé comprend du riz avec une sauce. C’est le plat préféré des Bagdadis. On offre également une soupe riche en viande et en légumes.

Les bénéficiaires de ces repas , dont certains étudiants, Pakistanais dans leur majorité, se rassemblent chaque jour en une longue queue.

Salle des festivités

Cette salle se trouve juste après le siège de l’administration des Awkaf Qadiri. Elle se compose d’une grande salle où s’effectuent les rituels d’inhumation, les séances de prière sur les membres de la famille Al Jilani, et les festivités religieuses

L’école du cheikh Abdelkader Al Jilani

Cette école est mitoyenne du lieu saint Qadiri. L’enseignement s’y effectuait suivant la « méthode Molaîi Ã‚». Elle a été ouverte en 1991 par le ministère des habous. Le cycle d’étude s’y limite à six niveaux : du 1^er au 6^ème secondaire. Les lauréats vont à la faculté de la Chariâ, pour être formés en imams, prédicateurs ou enseignants des sciences religieuses. Il y a dans cette école 275 étudiants et 25 enseignants. Outre les disciplines religieuses, on y enseigne la langue arabe, l’anglais et l’informatique. Elle dispose de 9 classes, d’un internat pour les étudiants étrangers et d’une mosquée. Le financement provient du Wakf sunnite.

Il y a encore des travaux de développement de ce lieu saint : un nouveau lieu saint nommé le « lieu saint hanbali Ã‚» d’une capacité d’accueil de 4 500 personnes est en voie de construction devant la porte orientale.

De même, 4 nouveaux pavillons pour les personnalités de marque, ainsi qu’un 4^ème minaret de 43 m de hauteur, des hammams et des parkings sont en cours de réalisation.

La zone environnante du mausolée

Ce mausolée est situé dans l’une des zones la plus ancienne et la plus populaire de Bagdad. La plupart des maisons qui s’y trouvent sont du style bagdadi traditionnel. Les ruelles y sont étroites, difficiles d’accès pour les voitures. Elle est entourée par un souk traditionnel où se vendent les articles artisanaux propres aux lieux saints, tissus, chapelets, jouets, Corans et ouvrages de soufis, de « dikr Ã‚» et de prières.